Des continents, des montagnes, des vallées...

(Extrait antérieur du manuscrit publié dans sa version définitive sous le titre Le Cerveau Attentif : Contrôle, maîtrise et lâcher-prise, Odile Jacob, 2011.)

Le cerveau est une drôle de planète. Une planète enrobée d'une écorce, comme la Terre, de quelques millimètres d'épaisseur appelée cortex, la traduction latine du mot "écorce". Ce cortex, qui constitue l'essentiel de la "matière grise", est une sorte de croûte molle recouvrant toute la surface du cerveau. Au centre de la planète se trouve un ensemble de structures dites "sous-corticales", car elles se situent sous le cortex, un peu comme le noyau de la Terre. Entre le centre de la planète et sa surface, un dense réseau de fibres relie à la fois les structures sous-corticales avec le cortex, et les différentes régions du cortex entre elles. Grâce à ce réseau de fibres, deux régions du cerveau peuvent communiquer entre elles même si elles sont loin l'une de l'autre. Ces fibres constituent ce qu'on appelle la "matière blanche". Cette planète a également une lune, appelée cervelet, qui au lieu de flotter quelque part dans l'espace, est directement collé à l'arrière du cerveau.

Comme notre Terre, la planète-cerveau est divisée en continents, appelés lobes. On en dénombre quatre principaux : le lobe occipital, le lobe pariétal, le lobe temporal et le lobe frontal. Les noms des différents lobes indiquent leur position à l'intérieur du crâne. Le lobe frontal est à l'avant, juste derrière le front; le lobe temporal est au niveau des tempes; le lobe occipital est à l'arrière de la tête - l'"occiput", en latin - et le lobe pariétal est situé en haut et à l'arrière du cerveau, juste sous la tonsure des moines; bien que le mot pariétal ne désigne rien de monacal, mais en latin : "ce qui appartient aux murs". Contrairement à nos continents, les lobes ne sont pas séparés les uns des autres par de vastes océans ou des chaînes de montagnes, mais par des vallées très profondes, appelées sillons, comme les sillons que l'on creuse dans les champs - les livres d'anatomie utilisent parfois le mot latin sulcus.

En dehors des quelques grands sillons qui séparent les lobes entre eux, d'autres sillons créent des séparations au sein des lobes-continents, en lui donnant son allure de noix, ou de plat de spaghetti. Les sillons permettent au cortex de tenir dans un volume raisonnable malgré sa surface importante, 2500 cm2, la surface d'une taie d'oreiller ; comme si la Nature avait dû chiffonner cette taie pour qu'elle tienne dans le crâne. Par ailleurs, les sillons sont séparés les uns des autres, comme certaines vallées, par de longues collines étirées appelées circonvolutions ou gyri - au singulier gyrus, nom latin désignant une forme arrondie - serrées les unes contre les autres comme peuvent l'être les doigts de la main. Gyri et Sulci sont les repères géographiques les plus évidents sur la planète cerveau. Chacun d'eux porte un nom, qui indique précisément l'endroit où il se trouve.

La plus grande originalité de la planète-cerveau est d'être séparée en deux demi-sphères, appelées hémisphères - hémi veut dire "demi" en grec. L'hémisphère gauche et l'hémisphère droit ne sont reliés entre eux qu'au niveau de la matière blanche, principalement grâce à un dense réseau de fibres appelé "corps calleux". Il y a quelques années encore, il était courant de couper ce corps calleux pour guérir certaines formes d'épilepsie très graves. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les patients survivaient à l'opération, guérissaient de leur épilepsie, et reprenaient le cours de leur vie sans trouble cognitif majeur, avec deux moitiés de cerveau indépendantes.

Ci dessous, un schéma du cerveau avec les différents lobes :

Cent milliards et quelques d'habitants ...

(Extrait antérieur du manuscrit publié dans sa version définitive sous le titre Le Cerveau Attentif : contrôle, maîtrise et lâcher-prise, éditions Odile Jacob, 2011.)

La Terre compte six milliards d'êtres humains; le cerveau compte cent milliards de neurones. Ces neurones vivent pour la plupart dans le cortex, bien que certains aient choisi d'habiter au centre du cerveau, dans les structures sous-corticales, ou dans le cervelet. Au sein du cortex, les neurones vivent aussi bien dans les hauteurs des gyri que dans les profondeurs des sillons.

Chaque neurone ressemble à un arbre qui aurait perdu toutes ses feuilles. Si vous vous promeniez dans le cortex, vous auriez l'impression d'être dans une forêt au mois de janvier. C'est une forêt un peu inhabituelle, cela dit, car les arbres ne sont pas disposés les uns à côté des autres sur le sol, comme nous en avons l'habitude, mais également les uns en dessous et au-dessus des autres, au sein de plusieurs couches de forêt superposées. Cette drôle de forêt noire multicouche, c'est le cortex.

Dans cette forêt étrange, le tronc de chaque arbre ne se termine pas dans le sol, mais au niveau des branches d'un autre arbre. Ces branches sont les 'dendrites' du neurone, et le tronc son 'axone'. L'axone peut être long, très long, et pas forcément droit, pour pouvoir atteindre les dendrites de neurones situés à l'autre bout du cerveau. Il peut aussi être court et seulement relié à ses voisins ; tout dépend de la couche de forêt où se situe le neurone, et de l'espèce à laquelle il appartient. Car comme pour les arbres, il existe plusieurs espèces de neurones, mais nous ne rentrerons pas dans ces détails dès maintenant.

Du tac au tac

Le réseau qui relie les neurones les uns aux autres est très dense. On estime qu'en moyenne, chaque neurone communique avec dix mille de ses collègues - comme si dix mille personnes cherchaient en permanence à vous joindre au téléphone.

Si l'on mesure localement l'état électrique du neurone, par exemple à l'endroit d'où part le potentiel d'action (le message), tout en haut de l'axone, on constate que l'émission du potentiel d'action se traduit par une montée très brusque du potentiel électrique vers des valeurs positives, avant une retombée tout aussi rapide vers des valeurs négatives. En tout, cet enchaînement montée-descente ne dure pas plus d'une milliseconde. Le même phénomène se reproduit ensuite un peu plus loin le long de l'axone, avec un petit retard, et ainsi de suite ; exactement comme une onde.

Si vous avez un petit peu de mal à imaginer cette onde, songez aux vagues qui se créent à la surface de l'eau quand vous jetez un caillou au milieu d'un bassin. Ces vagues mettent un certain temps à atteindre le bord du bassin. De même, le potentiel d'action met un certain temps pour atteindre la fin du chemin.

Après avoir parcouru toute la longueur de l'axone, le message arrive dans l'espace qui lui permet d'accéder aux dendrites d'un ou plusieurs autres neurones. Le message sera envoyé ou non (en fonction de différents paramètres que nous n'aborderons pas ici) dans les dendrites des autres neurones. En connectant les neurones entre eux de diverses façons, on peut créer toute sorte de circuits différents.

Les zones du cerveau

Un neurone au microscope

Plus une connexion entre deux neurones est "utilisée", plus elle sera renforcée. C'est-à-dire que l'information passera plus rapidement si la connexion entre les deux neurones est renforcée. Cela crée des cycles de perceptions-actions quasi automatiques. Par exemple, pour certaines personnes, la vue d'un stylo (perception) entraîne une action de saisie, quasi inconsciente. Cela signifie que la connexion entre ces groupes de neurones est très puissante.