Les travaux récents en neurosciences cognitives indiquent que les "intentions" (ce qu'on s'est donné à faire) sont maintenues activement en mémoire sur le côté du lobe frontal, dans ce qu'on appelle le cortex préfrontal latéral, à tel point qu'il est possible à partir d'enregistrements des neurones situés dans cette région de "décoder" parmi plusieurs consignes possibles celle qu'est en train de suivre un individu (Stokes et col., 2013). Si vous devez chercher votre fils à la sortie de l'école et que votre regard tombe par hasard sur une vitrine alléchante, c'est cette région qui la jugera sans intérêt pour votre objectif du moment et qui vous incitera à poursuivre votre chemin.Le cortex préfrontal latéral garde en mémoire ce que les neurosciences désignent sous le terme de task-set et qu'on pourrait traduire grossièrement par "tout ce qu'il faut savoir pour mener à bien la tâche" (les anglophones pourront regarder l'article de Katsuyuki Sakai cité en fin de texte). Le task-set contient par exemple une série de règles de type "s'il se passe A, je dois réagir en faisant B" (si je vois une forme rayée rouge et blanche dans l'image où est caché Charlie, je dois comparer cette forme à la forme de Charlie que je garde en mémoire).Il est facile de comprendre à travers ce mécanisme qu'avoir deux task-sets simultanément actifs dans le cortex préfrontal n'est pas une bonne idée, car au moment de percevoir un stimulus, deux groupes de neurones de cette région vont rentrer en compétition et proposer des actions qui peuvent se contredire (ils ne seront d'ailleurs sans doute pas d'accord non plus sur l'importance à donner à ce stimulus, où au sujet des informations qu'il faut en extraire). Bref, mieux vaut avoir une seule intention claire à la fois, et un seul task-set, et donc un seul groupe de neurones bien actifs dans cette région du cortex préfrontal.Quand nous arrivons à faire deux tâches en même temps, c'est soit parce que l'une d'entre elles est automatisée et ne demande quasiment plus d'attention ni de task-set (elle dispose alors de son propre circuit neuronal dédié, ce qui renvoie à toute la littérature scientifique sur les automatismes); soit parce que ces deux tâches ne sont pas vraiment réalisées simultanément, mais en alternance rapide. Même si ce jonglage est possible, sachez que les deux tâches vont tout de même interférer négativement et que vous serez moins bons que si vous réalisiez chacune d'elles séparément (voir l'article de Koch paru en 2018 pour une belle revue de questions sur le multitâche). Les neurosciences cognitives vous recommandent donc de fragmenter les tâches complexes en une série de tâches simples, par exemple selon la méthode d'organisation développée pour les adultes par David Allen aux États-Unis (voir la référence en fin de texte).Enfin, sachez que le mécanisme qui permet aux neurones du cortex préfrontal de rester actifs et de bien garder en mémoire une consigne n'est pas conçu pour garder longtemps en mémoire la même intention, unique et au-dessus de toutes les autres. Cette imperfection apparente a ses avantages, puisqu'elle permet de passer rapidement d'une tâche à une autre, mais elle procure aussi une grande instabilité à ce système : c'est pourquoi il vaut toujours mieux se fixer des petites missions simples et courtes (quelques minutes, typiquement).Et pour finir, vous aurez constaté par vous même que ce système de maintien en mémoire des intentions n'est pas indépendant du circuit de la récompense : ce dernier peut avoir une influence stabilisatrice sur les neurones d'un task-set si la tâche à accomplir mène droit vers une récompense. Combien de temps seriez-vous prêt à cliquer en regardant des petites formes apparaître sur un écran pour gagner un million d'euros ?

> Pour en savoir plus sur les task-set, le multi-tâche et les habitudes (en anglais)

Stokes M. G., Kusunoki M., Sigala N., Nili H., Gaffan D., Duncan J., "Dynamic Coding for Cognitive Control in Prefrontal Cortex", Neuron; vol. 78, 2013, p. 364-375.Sakai K., "Task set and prefrontal cortex", Annual Review Neuroscience, vol. 31, 2008, p. 219-245.Koch I., Poljac E., Müller H., Kiesel A., "Cognitive structure, flexibility, and plasticity in human multitasking. An integrative review of dual-task and task-switching research", Psychological Bulletin, vol. 144, 2018, p. 557-583.Smith K. S., Graybiel A. M., "Investigating habits: strategies, technologies and models", Frontiers in behavioral neuroscience, vol. 8, 2014.> Et pour apprendre à travailler avec des tâches courtes (en français)Allen David, S'organiser pour réussir. Getting Things Done, 2008, Paris, Leduc. S Editions.