> Les comportements automatiques

Une règle énoncée dans les années 50 par un psychologue canadien, Donald Hebb, stipule que deux neurones renforcent les connexions qui les relient s'ils sont souvent actifs ensemble, ce qui les amène à se "coactiver" de plus en plus souvent puisque l'activité d'un des deux neurones aura tendance à se propager à l'autre plus facilement. Cette règle s'est avérée correcte dans de très nombreux cas, au point qu'on parle de mécanismes d'apprentissage (ou de plasticité) hebbien. Selon ce principe, si vous avez l'habitude de saisir le couvercle du pot de confiture et de l'ouvrir d'une certaine manière en le regardant, il y a coactivation régulière de neurones du cortex visuel "sensibles" à l'image du pot de confiture et de son couvercle et de neurones du cortex moteur et prémoteur chargés de réaliser ce geste particulier de rotation du couvercle. En suivant l'idée générale de Hebb, et sans rentrer dans les subtilités introduites depuis par soixante ans de neurobiologie, il est facile de comprendre qu'il va se créer dans le cerveau des réseaux de neurones spécialisés associant perception et action, qui peuvent être activés par la seule vue d'un pot de confiture.Une région intermédiaire entre le cortex visuel et le cortex moteur, dans la partie antérieure d'un sillon dit intrapariétal contient des neurones importants au sein de ces réseaux : leur destruction entraîne un phénomène d' "oubli définitif" de la manière dont on manipule certains objets (rappelons que les sillons sont les vallées qui strient le cortex et qui lui donnent son aspect ridé, et que le lobe pariétal occupe la partie arrière et supérieure du cerveau). Ces réseaux qui associent de manière stéréotypée certains objets à certaines actions constituent le support biologique de la plupart de nos réactions automatiques (ouvrir et fermer sans cesse la fermeture de sa trousse, se servir dans le bol de cacahuètes, se balancer sur sa chaise, prendre systématiquement à droite en arrivant à tel carrefour, etc.). Ils existent dans plusieurs parties du cerveau et sont à l'origine de ces très nombreuses petites actions qui se déroulent sans que nous ayons vraiment besoin de les décider, et qui, certes, nous facilitent grandement la vie mais qui peuvent aussi nous distraire. D'autant plus que des mécanismes analogues contraignent également l'attention : ainsi, ce même sillon intrapariétal contient des neurones qui "proposent" d'orienter l'attention vers la droite quand un objet saillant y est détecté (et il existe aussi à proximité des neurones qui "proposent" d'y orienter le regard, et d'autres qui "proposent" de tourner la tête et le buste). Toute cette machinerie est constamment active pour proposer sans cesse au cerveau d'agir et de réagir de manière stéréotypée et prédictible à ce qui se passe autour de lui.

>> Pour en savoir plus sur les automatismes (en anglais)

Hebb D.O., The Organization of Behavior: A Neurophysiological Theory, New York, John Wiley & sons, 1949.Devinsky O., D'esposito M., Neurology of Cognitive and Behavioral Disorders, Oxford, Oxford University Press, 2003.Caporale N., & Dan Y., "Spike Timing–Dependent Plasticity: a Hebbian Learning Rule", Annual Reviews of Neuroscience, vol.31, 2008, p. 25-46.Cisek P., "Cortical mechanisms of action selection: the affordance competition hypothesis", Philosophical Transactions of the Royal Society of London B: Biological Sciences, vol. 362, 2007, p. 1585-1599.Graybiel A. M., "Habits, Rituals, and the Evaluative Brain". Annual Reviews of Neuroscience., vol.31, 2008, p. 359-387.Gibson J. J., The Ecological Approach to Visual Perception, New York, Psychology Press Classic Editions, 2015.

> Le circuit de la récompense

Les neurones du circuit de la récompense ont pour fonction essentielle d'influencer notre comportement pour nous rapprocher de ce qui est d'ordinaire plaisant et nous éloigner de ce qui est d'ordinaire néfaste ou dangereux (le circuit de la récompense est ici étendu à des régions cérébrales sensibles aux punitions). Chez l'animal, une récompense est un stimulus pour lequel l'animal est prêt à fournir un effort. Sans le circuit de la récompense, un animal resterait donc prostré à ne rien faire, à part quelques gestes habituels. Ce circuit est générateur de la sensation d'envie et d'excitation "à l'idée" ou à la vue (ou à l'écoute, etc.) de quelque chose et - par symétrie - générateur de la sensation de déplaisir à l'idée d'approcher ce qu'on n'aime pas ou de quitter ce qu'on aime.C'est donc essentiellement un "dérivateur" au sens mathématique du terme, qui compare "ce qui est" avec "ce qui a été" et "ce qui pourra être juste après". Il est donc très sensible aux variations : si quelque chose s'annonce comme "mieux", "plus plaisant" ou "plus intéressant" que ce qu'on est en train de faire en ce moment, il s'active pour déclencher un comportement d'approche. C'est un mécanisme extrêmement efficace pour amener une personne à s'assoir dans un bar par un jour de canicule et commander une bière fraîche, et vous pouvez le voir comme le commercial du cerveau. Mais on voit tout de suite se dessiner un petit souci, puisque rapidement le circuit de la récompense va se mettre en recherche d' "encore mieux". La bière fraîche n'intéressera pas très longtemps ce système, qui se mettra rapidement en recherche de quelque chose de nouveau et d'excitant, sur le smartphone par exemple.Le circuit de la récompense est donc un grand déstabilisateur de l'attention, qui pousse sans cesse à passer à autre chose de plus stimulant. Cela ne veut pas dire qu'il n'aide jamais à se concentrer : il peut même verrouiller l'attention d'un jeune sur un jeu vidéo, ou tout simplement pousser à rechercher l'information par curiosité, ou à dévorer un livre passionnant, ou à courir à son cours de guitare. C'est donc un peu le bon, la brute et le truand... et mieux vaut reconnaître les moments où il tente d'influencer notre attention et nos actions, pour l'utiliser plutôt que de lui laisser tout contrôle. Sachez d'ailleurs qu'il est au centre de tous les phénomènes d'addiction et de tous les comportements abusifs vis-à-vis du numérique. Une société s'était même créée pour imaginer des jeux vidéo et des applications extrêmement "addictives" avec le nom évocateur de dopamine labs en référence au neurotransmetteur omniprésent dans le circuit de la récompense.

>> Pour en savoir plus sur le circuit de la récompense (en anglais)

Olds J., Milner P., "Positive reinforcement produced by electrical stimulation of septal area and other regions of rat brain", Journal of Comparative and Physiological Psychology, vol. 47, 1954, p. 419–427.Lammel S., Lim, B. K., Malenka, R. C., "Reward and aversion in a heterogeneous midbrain dopamine system", Neuropharmacology, vol. 76, 2014, p. 351-359.Volkow N. D., Wise R. A., Baler R., "The dopamine motive system: implications for drug and food addiction", Nature Reviews Neuroscience, vol. 18, 2017, p. 741-752.